J'aime marcher la nuit dans les rues. Longtemps. Quand mon corps me le permet. Il m'a fallu y marcher longuement avant d'arriver à faire disparaitre les murs et les chaussées. Dans l'agitation d'une ville le jour il est trop difficile pour moi de faire abstraction de ce qui peut gêner la réflexion. Il est aussi trop difficile le jour de faire abstraction des affaires à gérer pour moi même, ne serait-ce que manger ou faire le nécessaire pour survivre. Mais la nuit les choses sont différentes. La nuit, errant dans les rues, toute notion d'obligation ou de but disparait, l'absence de but d'une telle déambulation, son absurdité, laisse la place nécessaire à la réflexion. Mieux même la nature ayant, parait-il, une répulsion avérée pour le vide, le réceptacle vide qu'est à cet instant le cerveau fait tout pour se combler.
Régulièrement, lors de ces pèlerinages, il arrive que, le silence aidant, tout ce qui est immobile et silencieux disparaisse. A commencer par les murs des bâtiments, la chaussée et tous les autres obstacles entravant l'horizon. Les murs disparus, restent des planchers ouverts aux quatre vents, et le mobilier des appartements. Cependant ceux-ci, vides de sens, s’évanouissent bientôt à leur tour. Ne restent alors plus que les corps des hommes et des femmes vivants autour, flottants dans l'air. Celui-ci allongé dans les airs, dormant, celui-là en position assise fixant une télévision maintenant disparue, enfin tels autres en train de faire l'amour, se lavant, etc. La majorité dort. Dans ces instants rien n'importe plus que les êtres. Mes semblables, nos semblables. A la nuit tombée, et dégagés des différences conjoncturelles, nous sommes identiques, égaux et seuls face au questions qui nous hantent tous. Ces questions, que je n'ai pas fini d'identifier, nous rapprochent. Dès lors cette nouvelle proximité, cette similitude, si bien dissimulée à la lumière du jour, peut entrainer une envie de communication immédiate et absolue. A tel point qu'il est parfois difficile de ne pas entrer et de s'approcher pour mettre en commun nos savoirs issus d'une telle diversité sociale et culturelle. Cette fois débarrassées de leurs corps ne restent plus que des consciences soumises aux mêmes instincts et aux mêmes questions. La ville ainsi perçue ressemble à s'y méprendre à certaines représentations du paradis et de l'enfer. Des âmes réunies dans un même endroit, débarrassées de toute préoccupation immédiate, prêtes à une communication universelle. Cela ressemble au paradis lorsque le regard porté est bienveillant et euphorique, à l'enfer quand celui-ci est malveillant ou déprimé. La seule interaction imaginable en état d'euphorie est de communiquer cette euphorie, la seule interaction imaginable en état dépressif est de communiquer cette dépression. L'interaction entre les êtres me semble aujourd'hui le seul observable pertinent. Longtemps j'ai chéri l'image de l'ermite, éprouvant un respect mêlé de peur pour cet homme qui s'isole pour trouver en lui-même un aboutissement. Je pensais donc que c'est en soi que se trouvent les réponses:
Puis l'idée d'interaction est survenue sous une première forme, la communication entre deux êtres mais avec une intériorité préalable:
Finalement, avec ces sorties nocturnes et à la lecture de divers textes j'en suis venu à une nouvelle manière (pour moi) d'envisager les choses. c'est-à-dire la négation de toute intériorité, ou du moins de sa valeur. la seule chose important réellement est l'interaction entre les personnes. Sartre écrivait "le faire c'est l'être" impliquant par là que toute idée d’intériorité était secondaire, et même que l'action précède l'être. Autrement dit ce n'est pas parce que je pense d'une telle manière que j'agis de telle sorte, mais plutôt c'est parce que j'agis de la sorte que je deviens telle personne. L'être ne précède plus l'acte, au contraire l'acte crée l'être. Nos actes ne sont plus le reflet de qui nous sommes, ce sont eux qui construisent qui nous sommes.
Dernier schéma:
Sans deux êtres plus de communication, plus d'interaction, plus d'être. On peut penser au cas des détenus enfermés en cellule d'isolement. Livrés à eux-mêmes, au néant, à la folie. On peut aussi penser au prologue de l'évangile selon Saint Jean:
Au commencement était le Verbe
Longtemps j'ai pensé que le Verbe était le moyen par lequel Dieu avait crée quelque chose de neuf issu de son intériorité, de sa préexistence. Maintenant j'envisage une nouvelle manière de voir les choses. Le Verbe (la parole liée à l'action) serait l'interaction. Le principe divin serait donc la mise en relation d’éléments pour inventer. Dans cette façon de voir les choses l'ermite devient un idiot qui à vouloir trouver ne contribue qu'à s'anéantir.
Reste à déterminer des manières efficaces d'interagir à présent en gardant en tête que les indices principaux sont les questions universelles. Par exemple à la question "quel sens donner à tout ça?" (je reste volontairement vague) je sais qu'il est possible de répondre/interagir en offrant de l'absurde. Il suffit pour s'en convaincre de voir comment une action spontanée ou insensée peut changer la vision des choses d'une personne, et ainsi donner une nouvelle perspective à sa quête de sens.
A vos interactions.